En 1982, s’amorçait la première édition du Symposium de la jeune peinture au Canada. L’année 2022 célèbre le 40e anniversaire de l’événement, intitulé désormais Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul. Consacré d’abord à la peinture, l’événement s’est en effet ouvert aux autres médias, suivant de près les métamorphoses de la production artistique et l’introduction de nouveaux moyens d’expression. Cette 40e édition, sur le thème Connecté-Interconnecté : le monde numérique en question, questionne l’impact des technologies numériques dans le monde de l’art, mais aussi la perception et l’expérience vécue dans le monde actuel. Elle entend témoigner de l’actualité d’un présent à la fois artistique et social en mettant en relief plus que jamais l’impact des technologies dans la création artistique, l’imaginaire et la société actuelle.
Notre époque n’est pas la première à traverser des changements importants en raison de révolutions technologiques qui bouleversent les modes de vie, changent les conditions de perception, l’expérience sensorielle du monde et la vision de l’avenir. L’invention de la presse à imprimer (15e s.), du moteur à combustion (18e s.), de la photographie (1839), de l’ampoule électrique (1879), de l’automobile (1886) et de l’avion (1903), pour ne nommer qu’eux, ont contribué à façonner le monde actuel. De la même manière, la révolution numérique qui s’est amorcée en douce dans les années 1960, pour s’implanter définitivement dans les années 1990 avec l’apparition des micro-ordinateurs puis celle d’Internet, s’est immiscée dans (presque) tous les aspects de notre vie, depuis les gestes quotidiens de communiquer, de s’informer, de travailler, de s’approvisionner, voire d’imaginer le monde dans lequel nous vivons et que nous expérimentons de plus en plus par le biais des nombreux outils numériques maintenant disponibles. Dans les dernières années, le virtuel a acquis une importance sans précédent. L’immatérialité des espaces inventés et la dématérialisation des objets questionnent notre rapport au monde tangible et modifient la vision que nous en avions. La connectivité sans limites dans laquelle nous nous immergeons a littéralement changé les rapports humains et le rapport aux choses, à l’espace et au temps. Un changement profond, qui affecte toutes les sphères de l’existence, que ce soit de l’apprentissage des tout-petits aux découvertes scientifiques de pointe, prend forme sous nos yeux.
Dans son ouvrage L’Art de l’observateur, l’historien de l’art Jonathan Crary écrit : « La vision et ses effets sont à jamais solidaires des potentialités d’un sujet observateur, tout à la fois produit historique et lieu de certaines pratiques, techniques, institutions et procédures de subjectivation »1. Les artistes sont à ce
titre des « sujets observateurs » par excellence, par l’attention qu’ils et elles portent aux mouvements sous-jacents et aux signes révélateurs de leur culture et de leur environnement. Dans cet esprit, le thème de cette année invite treize d’entre eux à jeter un regard sur le monde actuel, à en souligner les structures, les caractéristiques et les potentialités offertes par la technologie ainsi que les questions qu’elle entraîne inévitablement dans son sillage. Dans leurs projets, le monde numérique est abordé de différentes manières. Chez certains, les outils technologiques sont un moyen de création menant à l’immersion dans des espaces virtuels – mises en scène imaginées ou espaces de projection, qui permettent des expériences visuelles ou sonores inhabituelles. D’autres interrogent et explorent différents statuts de l’image : de l’empreinte du monde réel à la synthèse numérique jusqu’à l’existence purement virtuelle. Pour d’autres, le monde naturel trouve une forme d’extension grâce à la technologie, une juxtaposition redonnant son importance au contact étroit et sensible avec la matérialité des choses. Enfin, sans avoir recours à ces outils pour l’élaboration de l’oeuvre, certains artistes questionnent des aspects structurels de l’organisation du monde actuel liés à la mondialisation, au pouvoir ou à l’écologie.
Il sera fort intéressant, tout au long du mois d’août, de voir se développer ces projets dans leurs formes et leur conception, de les voir se transformer au fil des jours, nourris des échanges entre les artistes et les visiteurs. Ces oeuvres traceront, pour notre mémoire personnelle et collective, les contours d’un portrait, certes inachevé mais néanmoins éloquent, de notre présent.
1. J. Crary, L’Art de l’observateur, Vision et modernité au XIXe siècle, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1994 (c. 1990), p. 25.